>› a piece of me
"dis."
"mmh ?"
"tu crois que les chats se demandent si on pense en langue humaine ou en langue chat ?"
"...Jake."
"non mais c'est une vraie question, parce qu'on leur répond en miaulant des fois, et-.."
"Jake."
"mais laisse-moi finir. et genre, quand tu parles à un français tu t'demandes pas toi ?"
"ta gueule, vraiment."
pourtant, il y a un rire qui t'échappes, alors que t'observes les étoiles dans le ciel sombre, ta main attrapant le joint roulé et tendu par ton ami. la fumée qui s'échappe de ta bouche te gâche la vue pendant quelques instants, et tu roules des yeux quand sa main le fait également. cependant, tu ne pourrais pas penser venir ici, à cette heure-là, avec qui que ce soit d'autres.
"...et les chiens ?"
un autre rire étouffé.
"t'es high à quel point, là ?"
"..euh.."
silence.
"un mètre 96, environ."
super.


il y a cet air frais qui t'aide à respirer. t'aimerais pouvoir le dire, t'aimerais ne pas le cacher, le dire à voix haute, à ton monde entier. mais il est encore avec elle, et il ne t'écoutera pas, et tu le sais, tu t'écouterais pas non plus.
"Arthur, attends !"
mais tes pas qui s'échappent, qui continuent, au milieu de cette nuit un peu trop fraîche. t'as continué quand bien même il te suit, t'as finis par t'arrêter pour t'asseoir là, à votre endroit à vous tous. sur les rails abandonnés, t'entends ses pas qui se rapprochent, que t'as arrêté d'entendre quelques minutes auparavant, tout comme sa voix.
t'essayes même de ne pas écouter quand il s'approche, tu tentes de l'ignorer, mais il s'assied devant toi, et ses mains passent sur tes joues, à essuyer les larmes qui y coulent.
"qu'est-ce qui va pas ?"
c'est toi, idiot. t'as envie de lui dire, mais tu te tais, et tes yeux échappent aux siens.
"tu sais que tu peux me parler, pas vrai ?"
mais t'hésites, quand même. même si Nev t'as appris à faire, parce que tu l'aimes beaucoup, Jake, parce que t'avais envie qu'il soit à toi, aussi.
"j'aime pas te voir avec elle."
un silence.
"tu pleures à cause de moi ?"
un autre.
trop long, trop lourd. mais t'hoches juste la tête, sans rien dire.
"désolé."
"t'es tout le temps désolé."
"je sais pas quoi faire d'autre."
"pourquoi tu m'aimes pas ?"
question idiote.
réaction idiote.
il ne bouge pas, incompréhension, et tu relèves ton regard vers lui, une réelle question sans réponse.
"quoi ?"
tu secoues la tête, prêt à t'en aller, mais il te retient, posé sur ces rails.
"attends."
alors t'obéis.
"pars pas."
il n'y a pas plus, pas ce soir-là, mais c'est le premier pas.


la douceur de ses doigts qui caressent ta joue, la chaleur de son regard plongé dans le tien, le goût de ses lèvres posées dans ton cou, tu le ressens, les ressens sans pouvoir les avoir pour de vrai. cachés dans cette cabine du lycée, pendant les cours auxquels vous n'allez pas. mais cette fois, tes doigts lui relèvent le visage, tes lèvres qui frôlent les siennes quand il recule légèrement.
il a cet air de ne pas tout comprendre, alors tu gardes ton regard plongé dans le sien.
"viens, on s'aime pour de vrai," c'est murmuré.
et puis ses lèvres qui trouvent les tiennes pour la première fois. comme une inspiration, de l'air que tu n'as pas eu depuis trop longtemps, un soulagement, enfin.


ça n'aurait jamais dû se passer comme ça.
qu'on sèche, encore une fois. ton regard ne le lâche pas, lui, pendant presque tout ce temps. vous leur avez dis, aux autres. enfin, ils ont répondu.
et assit là, au lieu de s'instruire, à boire et fumer comme des imbéciles heureux, du haut de vos dix-huit ans.
même toi, même toi tu réalises pas ce qu'il se passe.
vous l'avez senti vibrer.
les rails, sous vos poids, c'est nouveau.
froncement de sourcils, et la vision du train qui s'approche, à toute vitesse.
"merde, bougez."
tu t'es éloigné, immédiatement. il n'y a qu'eu le grognement de Jake.
"euuuh.. les gars." tes yeux se posent sur son pied, coincé, ta main qui se tends vers lui, t'as envie de le tirer, de l'aider. mais avant que tu puisses l'atteindre, on te tire en arrière. un bras sauvé du coup à pleine vitesse de l'engin qui continue sa route.
choc.
ta respiration se coupe, t'arrives même pas à exprimer ce que tu ressens, tu réalises pas, ce qu'il vient de se passer.
aucun d'entre vous qui ne bouge. ta vision qui se trouble quand ton regard se pose sur les tâches de sang qui te parsème, les a éclaboussé, eux aussi. impression vague, trouble que tu vas t'évanouir, et pourtant tu n'arrives pas à bouger.
t'arrives même pas à les écouter, à les entendre.
"faut qu'on appelle les flics."
tu bégayes, ta voix trop douce.
"il faut qu'on en parle jamais. jamais jamais."
elle te contredit, et ils en discutent, tous.
de comment faire.
parce que vous n'auriez pas dû être là.
parce que vous avez tous bus.
parce qu'il est mort.
pendant que tu t'écroules, que tu finis par t'asseoir, par fermer les yeux, pour calmer l'attaque de panique qui te prend.
vous avez fini par l'enterrer.
par vous changer.
par prétendre avoir été ailleurs.
si rien ne se sait, tout le monde a le droit de croire qu'il a fugué.
mais vous ?
ce jour-là, Jake, vous ne l'aviez jamais vu.

from: heaven
to: you,
dis moi si je me trompe, mais on dirait bien que c'est des cons, tes amis ?

from: you
to: heaven,
c'est pas mes amis.
ils m'ont lâchés.
tous.
j'ai pas envie d'les voir.

from: heaven
to: you,
je suis là, moi, toujours.
je partirais pas.

from: you
to: heaven,
merci mon chaton.
alors, quoi de beau aujourd'hui ?

tu ne sais pas pourquoi tes pieds t'ont amené jusqu'ici.
tu vois encore l'endroit plus sombre, tâché, couvert d'herbe et de fleurs à l'endroit où il était, à une époque.
la nature qui reprend ses droits.
assit, aux côtés des rails, sur cette pierre où vous aviez passé tant de temps.
aucune idée de ce qui a pu t'amener ici, encore une fois.
tes yeux se ferment, tu respires enfin, pour la première fois depuis tant d'années.
sept ans.
sept ans seul, où ils t'ont tous abandonné.
sept ans sans remettre les pieds ici.
et il y a que quatre mots qui s'échappent de ta bouche, quand tu te décides de les murmurer.
"tu me manques, Jake."