>› a piece of me
Il faut toujours qu'il pleuve, lors des enterrements. Tu te rappelle parfaitement des murmures au sien. Ceux qui s'apitoyaient et ceux qui critiquaient. "Il ne pleure donc pas ? C'est sa mère pourtant !" "Il doit être effondré, le pauvre petit. Si jeune... et déjà privé de sa maman" "Et le père ?". Toi tu faisais face au cercueil, sous la pluie. On t'a pris la main et tu étais ensuite à Bluebell, arrivant chez les Thompson comme le stipulait le testament que ta mère avait fait peu après ta naissance, par précaution, pour que tu ais un avenir, London. Tout ça te glissait dessus, tu te contentais de corriger les gens quand ils t'appelaient Clyde. London. C'était comme ça depuis près de deux ans, même ta mère avait pris le pli. Une remarque, un de ses amis qui t'interpelle sans connaitre ton nom. Et ce sweetshirt. London, c'était écrit dessus. C'est resté, ce n'est jamais reparti.

Toi, en revanche, tu es reparti.
La fenêtre, un sac à dos, et tu étais dehors. Libre.

Première fugue. Loin d'être la dernière. Les services sociaux te récupèrent, trop ingérable, accusé de vol dans un magasin. C'est le centre pour mineur qui t'attend, London. Est-ce qu'ils t'ont retenu ? Non. Encore dehors, a trainer pendant cette fois plusieurs semaines avant qu'on te mette la main dessus. Changement de centre, d'état, de ville. Sans attache, toujours en cavale. Mineur sans état d'âme de s'enfuir encore et encore, en boucle. On te montre des psys pour enfants, pour comprendre. Alexithymie. Un mot parmi les restes du jargon médical qui te fait chier, London. Tu sais juste que c'est la carte à jouer quand on t'emmerde. Aucun ressenti. Tu sens les symptômes physiques, mais aucune émotion. Il y a des choses qui se passent en toi, mais t'as aucune idée de quoi, exactement.

T'es passé de foyer en foyer, de ville en ville, nomade dans des centres toujours plus stricts, dont tu parvenais toujours à t'échapper. Vadrouille sur les routes, tu restes un temps avec une fille, Zoey, qui a un van, alors que vous séchez tous les deux votre dernière année de lycée. Quelques semaines, quelques mois, sur les routes avec elle. Quelques temps d'accalmie. Zoey est une fille marrante, tu crois, elle s'amuse même à te faire un petit jeu de cartes d'émotion. L'Emodex elle l'appelle. Des symptômes physiques, des couleurs, des sensations, et en gros, comme titre, une émotion. Une aide sociale plus importante que les autres. Tu sais pas si tu l'as aimé, Zoey, mais sa présence te gênait pas, au contraire. Elle a été tes première fois Zoey, celles qui sont sérieuses, celles qui comptent, là, à l'arrière du van, le Bubble qu'elle l'appelait.

Puis ça s'est fini. Terminé. Elle voulait rentrer. Retourner à sa petite vie en ville. Son grand-père, qui lui avait cédé Bubble, venait de décédé. Il ne te restait de Zoey que les cartes et des souvenirs de paysages fantastiques au petit matin. La vie a repris son cours pour toi, petit baroudeur en quête de liberté.

T'avais toujours été un baroudeur, London, un bon voleur, qui se faisait rarement prendre. Il aura fallu d'une fois, à Heaven Hill, en Lousiane. Une fois, et on te menace de prison. Tu as vingt trois ans et on te parle de plusieurs mois derrière les barreaux. Tu ne veux pas y aller. Et tu te retrouves avec un avocat même pas demandé, tu retrouve monsieur Thompson, et c'est un sourire triste qui orne ses lèvres quand il te retrouve. Tu es un délinquant, une mauvaise graine, mais tu es vivant. Alors il s'arrange, négocie avec la juge. Suivi judiciaire, conditionnelle. Un seul faux pas, et c'est la prison. Tu bosses pour les Thompson. Le bracelet électronique à ta cheville t'empêche de quitter Heaven Hill sans autorisation de ton contrôleur judiciaire.

Et tu as accepté le deal, London, parce que tu n'as pas le choix. Cette liberté que tu recherches en vain n'est pas en prison, tu le sais, alors cela fait huit mois que tu te plie aux demandes des Thompsons. Ils sont sympa avec toi, même si tu méprises l'autorité, ils te traitent comme ils l'ont fait près de dix ans plus tôt. La carte t'indique la Reconnaissance.

Ils te laissent tranquille, tu es libre de tes mouvements tant que tu restes en ville. Libre, ou presque. Mais tu sais au fond que c'est mieux que rien.

Sauf depuis que la maison est devenue bien plus agitée.
Un.
Deux.
Trois.
Trois ados dont tu es parti chargé quand les parents sont occupés.
Pour toi, c'est comme un retour en foyer. Ou presque.