>› a piece of me
** TW : mention de décès et de fausse couche **

L’enfant n’a pas eu d’autre vie, aucune dont il se souvient en tout cas. Si Seth est né dans les bras d’une femme dont il ne connaît pas le nom, sa vie a commencé quelques jours après la naissance, lorsque les Remings ont posé les yeux sur lui. Couple désirant un enfant depuis des années, ils ont vu en lui l’espoir qu’ils attendaient. Et c’est donc aux Etats-Unis qu’il a grandi, enfant gâté parce que son sourire solaire lui ouvrait toutes les portes. Parce qu’il avait été trop attendu pour qu’on lui refuse quoi que ce soit. Enfant qui grandit en voulant voir la fierté dans les yeux des parents, qui a tout fait pour atteindre l’excellence.

Il y a eu lui, puis plusieurs autres. Chaque enfant Remings a été adopté dans des circonstances différentes, mais l’amour qui leur est donné a toujours été le même. Inconditionnel et puissant. Seth a appris à grandir dans cette atmosphère, à être le grand-frère protecteur et amusant qu’il aurait aimé avoir. Compétitif avec tout le monde sauf sa famille, ses camarades de classe lui ont vite conféré une image de premier de la classe. Tout le monde savait qu’il accordait plus d’importance à ses résultats scolaires qu’à ses fréquentations, et ce n’était pas toujours bien vu. Mais lui s’en fichait, déjà ambitieux à l’âge de sept ans il savait ce qu’il voulait.

Douze ans et le voilà qui déménage. Pas bien loin, de la Nouvelle Orléans à Heaven Hill, à la suite au décès de son grand-père paternel. Manoir Remings qui revient à la nouvelle génération, voilà qu’ils s’installent tous, les parents et les nombreux enfants. Une page se tourne, et Seth se réinvente. Il rencontre d’autres personnes, devient populaire, commence à jouer au football. Les notes suivent toujours, évidemment, mais il commence à exceller dans un domaine qu’il avait jusqu’à lors laisser un peu de côté : la sociabilité. Ça lui réussit à Seth, on veut être son ami, on veut être proche de lui. Peut-être parce qu’il était le nouveau venu, à s’installer dans une grande maison, peut-être parce qu’il est clair que sa famille a de l’argent. Ca a pu commencer ainsi, mais bien vite la popularité a été sincère, on s’intéressait à lui pour qui il était.

Puis est venue Winnie. Elle était agaçante, cette miss-je-sais-tout, à être toute aussi sûre d’elle qu’il était sûr de lui. Les querelles ont été nombreuses, les chamailleries, les taquineries. Il fallait toujours que l’un ait le dernier mot, mais peut-être s’amusaient-ils à en rajouter un dernier pour que la conversation ne se termine jamais. Au fond l’attirance a toujours été là, amour de lycéen qui s’est transformé en projet de vie. Ils étaient jeunes, trop pour les parents de Seth, mais il n’a pas écouté. Avec elle il trouvait un soutien et un moteur, une épaule sur laquelle s’appuyer pendant les nuits trop longues et une motivation à lire un autre chapitre dans leurs séances de révision.

Bébé imprévu qui est venu brûler plusieurs étapes. Le bonheur était là. Ils allaient réussir à tout faire tous les deux. Étudier, diplômer, sauver des vies et fonder une famille. Sans doute était-ce trop ambitieux. Si tout a bien commencé, il a suffit d’un rendez-vous et de quelques mots pour se rendre compte que plus rien n’allait. Un seul cœur s’était arrêté, mais deux autres s’étaient brisés. En rentrant chez eux, Seth et Winnie n’étaient plus les mêmes. Plus aussi lumineux, plus aussi ambitieux. Lui il s’est perdu dans les manuels d’anatomie, a étudié pendant des heures les mêmes pages, encore et encore, jusqu’à les connaître sur le bout des doigts. Il voyait Winnie se perdre autrement, descendre dans des enfers qu’il refusait de visiter. Il était triste Seth, dévasté d’avoir perdu l’être le plus cher qu’il pensait jamais rencontrer, mais son moyen à lui de ne pas sombrer fut à l’opposé de celui de sa bien-aimée. Et en la voyant ainsi, il ne pouvait que culpabiliser. Il n’était pas assez pour la maintenir hors de l’eau. Pas assez pour la réanimer.

Winnie avait en elle la force suffisante pour se reprendre en main, et quand il s’en est aperçu, il a eu la sensation de pouvoir respirer à nouveau. Tout était différent, elle ne l’accompagnait plus à l’hôpital, ils ne se battaient plus pour avoir la première place du classement. Elle changeait de cap et il était déçu Seth, ne pouvait s’empêcher de juger intérieurement le choix qu’elle faisait. Peut-être parce qu’à son oreille soufflaient les voix de ses parents, qui des années plus tard n’avaient toujours pas appris à l’accepter. Ses sentiments à lui n’avaient pas changé, il l’aimait toujours autant, se projetait dans un avenir différent, mais toujours clair.

La deuxième fois fut autant une surprise que la première. Ils ne s’y attendaient pas, n’essayaient pas. Le bébé était là pourtant, grandissant dans le ventre qui s’arrondissait une fois de plus. Cette fois ils ont été attentifs, peut-être un peu trop. Seth en papa poule et mari dévoué, il regardait les signes, se pliait en quatre. Pour que Winnie aille bien, pour qu’elle ne souffre pas. Pour la soutenir aussi, être là en cas de nouvelle perte. Prendre soin d’elle, le plus possible, en laissant parfois de côté ses propres besoins à lui. Quand Maia pousse son premier cri il y a un soulagement et un bonheur si entier que Seth ne peut le décrire. Il comprend enfin le sens de la vie, comprend pourquoi il s’efforce de travailler aussi dur. Il a une fille à présent, tandis que lui n’est pas encore totalement adulte. Seulement vingt-trois ans, ils sont jeunes tous les deux, mais ils savent déjà que cette petite famille passera avant tout le reste.

Et c’est pour cette famille, justement, qu’il a pris cette décision. Un an plus tard, tandis que la fillette commence à marcher, à parler, il met fin à cette dynamique. Leur famille survivra, ce n’est pas leur couple qui la définit, mais il a tout de même le cœur en miette en lui donnant les papiers du divorce. C’est pour le mieux, il sait qu’il ne sert à rien de s’enfermer dans un mariage sans amour, ça ne les mènerait qu’à se détester. Un sentiment qu’il refuse d’avoir pour celle qui fut l’amour de sa vie.

Vingt-huit ans et le diplôme pas encore en poche. Seth persévère, continue d’étudier et d’apprendre avec application. L’internat est terminé, il reste encore la résidence au bout de laquelle il aura toutes les clés en main. Chirurgien général, ça sonne un peu moins bien que neurochirurgien, mais il a tout de même fait des choix. Il aspire à plus de liberté, moins de nuits blanches passées dans les couloirs de l’hôpital, pour avoir du temps avec Maia un peu plus régulièrement. Mais tout fonctionne avec Winnie, ils font en sorte de trouver des terrains d’entente, des moments à trois, en famille, pour montrer à leur fille qu’ils s’entendent bien. Et il est vrai que les disputes sont rares, ils forment un bon duo tous les deux. Une idée qui, ces derniers temps, s’inscrit de plus en plus dans l’esprit de Seth.